L’intégration scolaire des réfugié.e.s, comparaisons entre plusieurs pays européens
Cette intervention présente les résultats de l’étude baptisée « Intégration d’enfants et d’adolescents réfugiés nouvellement arrivés aux systèmes scolaires des pays d’accueil européens que sont la France, l’Allemagne et le Danemark ». Ce projet de recherches examine les défis lancés par l’intégration scolaire des jeunes réfugié.e.s dans le cadre des sciences de l’éducation sous une perspective comparative internationale.
Méthodologie
Dans ces trois pays, les écoles et organismes qui ont fait l’objet de ces recherches ont été sélectionnés selon les critères de comparaison suivants : quartier faisant l’objet de ségrégations, forte proportion d’élèves issus d’un contexte migratoire et/ou scolarisation séparée d’élèves ne parlant pas la langue du pays d’accueil et réfugiésainsi que scolarisation dans des structures d’urgence (autrement dit dans des systèmes où l’obligation scolaire n’est pas en vigueur). Pour l’ensemble de ces pays, ce sont les questions suivantes, structurant les recherches, qui ont été posées:
Quels défis pédagogiques l’intégration des réfugiés lance-t-elle, et quelles sont les directives et mesures pédagogiques qui fonctionnent et que l’on peut identifier ?
Existe-t-il des coopérations multiprofessionnelles (enseignant.e.s, travailleuses et travailleurs sociaux, psychologues et personnel médical) jouant un rôle essentiel dans la qualité de l’école comme un « lieu sûr » (Schulze/Spindler, 2017) ?
Quelles sont les différences spécifiques à chaque pays ?
Quelles réussites dans l’intégration éducative des enfants et adolescents réfugiés en France et au Danemark peuvent être transposées en Allemagne, dans les politiques éducatives et processus d’intégration des différents Länder ?
Au total, on a interrogé 48 expert.e.s provenant de l’administration scolaire, des équipes de direction des écoles, des enseignant.e.s ainsi que des travailleuses et travailleurs sociaux en milieu scolaire, et, en France, également des soignants.
Résultats du travail comparatif
Comparaison des différentes situations de départ du point de vue de la politique éducative
En France, l’État remplit sa mission dans les écoles car l’égalité des chances, l’une des valeurs républicaines, est assurée par la promotion des individus. En Allemagne, c’est dans le cadre du principe de méritocratie que l’égalité des chances est assurée par l’intermédiaire de l’apprentissage de la langue nationale. Au Danemark, au lieu de l’égalité des chances, on parle plutôt d’équité des chances, dans une optique de promotion importante et complète des élèves nouvellement arrivés, car on va par exemple jusqu’à accepter temporairement l’anglais comme langue parlée à l’école.
Alors qu’en Allemagne la séparation se fait souvent par les connaissances linguistiques (en Basse-Saxe moins sur le plan structurel que sur le plan informel), en France et au Danemark, on priorise les connaissances, aussi bien pour la classification qu’en cours. En France, l’apprentissage de la langue n’est assuré que dans les classes prévues à cet effet ; en revanche, en Allemagne, on dispose de ressources supplémentaires prenant la forme de programmes s’appliquant lorsqu’une proportion d’élèves migrants supérieure à la moyenne est présente dans une école, et les tests de compétences linguistiques sont décisifs. Au Danemark, les communes assurent un soutien supplémentaire et elles sont représentées à l’école par des bureaux pédagogiques.
On constate des différences considérables entre les pays pour ce qui est de la prise en compte du statut du séjour, qui, en France, détermine certes la situation de départ, mais pas le quotidien à l’école. Alors que là-bas le fait de se demander si un élève est en situation régulière ou non est tabou, en Allemagne, l’origine sociale est mise en rapport avec les difficultés scolaires. En revanche, au Danemark, l’attitude adoptée face au contexte migratoire et à la barrière de la langue est réglementée et on en tient compte dans la communication. En outre, on constate de grandes différences entre la politique d’intégration restrictive du pays et celle des communes. En France, le principe de laïcité s’avère être une stratégie permettant d’éviter les conflits dans le quotidien scolaire et extra-scolaire.
Comparaison entre les différentes difficultés rencontrées par les professionnels : les responsables légaux des jeunes
Parmi les difficultés rencontrées par les professionnels, les intervenant.e.s des trois pays citent majoritairement les rapports avec les responsables légaux des jeunes. On pense ici, notamment, aux conflits culturels et religieux avec les parents. Selon les personnes interrogées, en Allemagne, ces conflits ont une influence sur la communication. Au Danemark, on n’évoque pas de conflits, mais on souligne des différences constituant des défis qu’il faut relever en toute connaissance de cause. En France, le principe de laïcité est considéré comme un élément de désamorçage des conflits, et l’implication des responsables légaux des jeunes dans les processus de recherche de solutions est vue comme la norme.
La différence réside dans le fait qu’en Allemagne on a une tension entre la reconnaissance de la légitimité des responsables légaux des jeunes et les processus « d’étiquetage » négatifs, et qu’en France, la collaboration avec les responsables légaux est considérée comme l’objectif premier du travail social en milieu scolaire. Un partenariat renforcé pour ce qui est de l’apprentissage et de l’éducation, en coopération avec l’ensemble des professions impliquées, n’est constaté qu’au Danemark. Dans les écoles de Basse-Saxe, les rapports avec les responsables légaux des jeunes sont décrits comme sources de difficultés particulières par de nombreux intervenant.e.s scolaires, notamment en raison de la barrière de la langue. Cependant, le travail social en milieu scolaire confirme que les responsables légaux des jeunes font partie intégrante de la famille scolaire, et qu’ils fréquentent les cafés des parents. On peut d’ailleurs établir un parallèle avec l’approche de l’école des parents et du café des parents à l’école primaire en France.
Tout comme en Allemagne, au Danemark, les parents sont toujours considérés par les intervenant.e.s du milieu scolaire comme « un élément de solution ». Les enseignant.e.s danois.e.s partent du principe que les parents doivent obligatoirement comprendre ce qui est dit, et des interprètes sont toujours présents lors des entretiens communs. En outre, ils ont recours à de nombreux canaux de communication afin d’établir un contact direct avec les responsables légaux des jeunes.
Comparaisons portant sur la multiplicité des professions
Au Danemark, les représentant.e.s communaux du réseau siègent directement à l’école, via, par exemple, les points d’orientation professionnelle. Des entretiens hebdomadaires d’équipe ainsi que de nombreuses réunions en réseau organisées dans l’année dans différentes constellations montrent une institutionnalisation orientée vers les objectifs des coopérations, ainsi que des domaines de responsabilités fractionnés et crénelés. En revanche, en France, on observe plutôt des formes de communication plutôt informelles entre les professions, sans réunions d’équipe régulières. Le fait que les journées de travail soient longues, du fait que les cours ont lieu toute la journée, offre un créneau temporel suffisant pour les échanges. En Allemagne, ce sont avant tout les travailleuses et travailleurs sociaux en milieu scolaire qui coopèrent entre eux de manière structurée et orientée en réseau. En Allemagne, on assiste à des tensions entre la manière dont les enseignant.e.s jugent l’utilité des domaines d’intervention des travailleuses et travailleurs sociaux, et la manière dont ces tâches sont attribuées. On peut établir une classification partant du faible degré de coopération entre les différents professionnels du milieu scolaire en France, en passant par le besoin d’évolution en Allemagne, pour finir par la coopération multiprofessionnelle efficace au Danemark.
Comparaison des différences de prise en compte du plurilinguisme (en lien avec l’intervention d’Adina Küchler-Hendricks)
La prise en compte du plurilinguisme est bien plus marquée en France et au Danemark qu’en Allemagne, et ce, aussi bien dans la manière dont on considère la pratique de la langue d’origine par les élèves que dans la façon de voir celle de leurs responsables légaux. Ce n’est qu’en Allemagne que la langue d’origine des jeunes fait l’objet d’un rejet total, car, selon l’étude, ces jeunes sont punis lorsqu’ils utilisent leur langue à l’école (Baur/Küchler-Hendricks 2020).
Bilan
Face à l’arrivée de nouveaux venus dans la société qui accueille des flux migratoires, des changements du lieu école sont nécessaires. Cette approche comparative à l’échelle de l’Europe permet de rendre visibles les éléments que l’Allemagne peut apprendre de ses voisins que sont la France et le Danemark :
En France et au Danemark, la migration est vue comme la normalité. L’intégration sociale des réfugié.e.s est considérée comme une mission de politique sociale générale spécifique aux professionnels concernés. Le plurilinguisme des enfants et des adolescents constitue en cela une ressource acceptée au quotidien dans les classes. Du point de vue organisationnel, en France, dès le départ, les nouveaux arrivants sont incorporés à une classe ordinaire, puis intégrés successivement sur la base de l’UPE2A (classe d’enseignement linguistique), comparable aux « recieving classes » danoises, qui garantit là aussi une transition dans une classe ordinaire. En France, s’ils font montre d’une volonté d’éducation pour leurs enfants, c’est-à-dire en leur offrant une scolarisation continue, les parents peuvent obtenir un titre de séjour. Le principe français de laïcité, qui a pour but d’éviter les conflits ethniques, culturels et religieux et de faire appliquer les droits civiques, est une approche discutable pour les écoles allemandes. Les processus de ségrégation constatés dans les écoles françaises et allemandes montrent, dans le cas de la classe d’enseignement linguistique renforcé du collège français, qu’une implantation ciblée de classes d’enseignement linguistique renforcé avec une intégration parallèle dans les classes ordinaires d’établissements privilégiés font de l’école un lieu sûr. Ainsi, la participation à la vie sociale et le fait de vivre en toute autonomie se confondent (cf. Baur 2020). Au Danemark, une culture de l’accueil bien implantée vient étayer le concept appliqué dans les faits d’école comme étant « un lieu sûr », et les intervenants scolaires interrogés se réfèrent à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Elle n’est pas évoquée dans l’enquête allemande, et il en est de même dans les écoles de Basse-Saxe où les coopérations multiprofessionnelles ont pour ambition de créer des structures en réseau entre l’école et les programmes pédagogiques et culturels extra-scolaires, ainsi que la police et l’Office de la jeunesse.
Si l’on établit une comparaison des modes d’intégration scolaire à l’échelle européenne, il s’avère que les communes devraient mettre à disposition des ressources sûres, et pas seulement du point de vue humain, financier et matériel. Dans le même temps, une approche basée sur les droits de l’homme en termes de pédagogie et de gestion est nécessaire, et repose sur la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, et ce, afin de pouvoir relever raisonnablement les défis décrits pas les personnes interrogées. Au Danemark, par exemple, les enseignant.e.s sont formés par des psychologues scolaires afin de tenir compte de la situation des élèves lorsqu’ils établissent des relations avec eux. Il faut réfléchir pour savoir dans quelle mesure cette tâche peut être ancrée de manière modulaire dans la formation initiale et continue proposée par les Universités.
Littérature
Baur, Christine (2020): Integration von geflüchteten Schüler/innen durch Bildung – Impulse aus Frankreich. In Kolhoff, Ludger (Hg.), Aktuelle Diskurse in der Sozialwirtschaft III. Wiesbaden: VS Verlag für Sozialwissenschaften, S. 161-179.
Baur, C.; Küchler-Hendricks, A. (2021): „Außer Deutsch darf keine Sprache in diesem Unterricht gesprochen werden“ – Sprache und Heterogenität im deutschen Schulsystem“. Kölner Online Journal für Lehrer*innenbildung 3, 1/2021, 70-82.
Schulze, E.; Spindler, S. (2017): Schule als sicherer Ort. Flucht als Herausforderung für Soziale Arbeit in der Schule. In: Die Deutsche Schule 109 (3), S. 248–259.